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mardi 15 juin 2010

M. Py et le reporter




J'ai eu beaucoup de peine à obtenir l'adresse de M. Py. Mais après une suite incroyable de coïncidences j'ai débarqué devant la porte couleur vert pomme de son appartement new-yorkais. Je me demande pourquoi ai-je retenu cette couleur bizarre, d'autant plus qu'il n'y avait rien d'exceptionnel: toutes les portes du même étage étaient vert pomme, comme les vieux murs salis autours. J'ai pressé le bouton de la sonnerie. Une voix rauque d'âne retentit dans l'espace de l'appartement. Peu après j'ai entendu les pas de M. Py.
Je viens de Paris. Il me considéra avec méfiance, ensuite il me laissa entrer. Le vieux metteur en scène vivait dans un appartement style 60's, minimaliste en principe. Des affiches collées aux murs ça et là. Des tableaux (des faux sans doute) diluant la monotonie des murs, des meubles plutôt absents, un tapis oriental dans le salon, un morceau d'un frontispice médiéval dans un coin obscur et une vraie invasions de livres qui trainaient partout.
Je voudrais vous interviewer Il me regarda encore avec très peu de confiance.
'Vous me faites chier, vous, journalistes. Je sais même pas pourquoi je vous accepte chez moi. Mais une fois entré je vous interdit de me poser de questions. Je vais vous dire ce que je trouve nécessaire. Ensuite vous aller me ficher la paix, car j'en ai trop besoin.'
Il commença par me dire son amour pour Flaubert, pour la poésie antylirique et son côté idéaliste dans ses lectures qui le firent découvrir Tchékov pendant ses études à Bruxelles. Il en lisait sans cesse. 'La mouette m'a beaucoup touché lors de ma première lecture, comme Les trois soeurs ou encore La cerisaie. Mais ce sont les récits du dramaturges qui m'ont déterminé de vouloir mettre en scène l'action, les petites phobies, les peurs ou encore les amourettes des personnages quasi naïfs et en partie romantiques'.
Mais rien ne m'impressionna dans son long monologue. Il me raconta des choses sur l'âme du théâtre et le sens de la mise en scène. La musique de Chopin c'est, d'après lui, la sonorisation parfaite du texte tchékovien. Son premier succès - la mise en scène de Ionitch, l'histoire d'une non-vie ordinaire - un médecin de campagne qui aime mais avec beaucoup de peine et qui après des années devient l'incarnation d'une divinité païenne, un gros monsieur de province sans amour ni espoir. Il n'y a rien de plus grave dans la vie qu'une existence vide. Pas de sens, pas de divinité, l'amour-une pauvre illusion en papier mâché, rien d'autre qu'une routine agaçante et creuse. Il me demanda si j'aime le théâtre. Mais j'ai eu du mal à répondre. C'est quoi aimer? Lire du Tchékov et, après une vague révélation, devenir un génie de la mise en scène? Vivre chaque geste des acteurs? Imposer un point de vue particulièrement neuf aux spectateurs? Harceler ce public ingrat qui reste à admirer les décorations? Crier l'exaspération ou le pathétique mal de siècle par la grande gueule de ses personnages?
Le vrai théâtre c'est le geste pur, c'est le nô japonais, son et mouvement, le mot y réside dans une absence particulièrement présente. La poésie c'est aussi du silence, c'est du non dit, c'est le devenir de l'acteur et non pas un simple produit fini. Notre théâtre, jeune-homme, est un éternel qui pro quo, un vacarme que nous projetons sans cesse dans ce que nous sommes, une mise ne abîme des métaphores avortées tous les jours dans les veines d'une ville neutre. Le temps n'est qu'une illusion dans ce processus. Le temps c'est de l'eau, y a que le regard qui compte.
A la fin M. Py m'offrit le manuscrit d'un de ces scénarios. La vie est un drôle de théâtre. Méfiez vous des acteurs qui jouent des rôles étrangers. Avec ces mots j'ai du redescendre dans cette terre qui adore les créations de son oeil innovateur valorisant sur la scène la mort dans tous ses états. Notre vie n'est qu'un jeu dont les dieux en ont marre.
La fumé montais vers le plafond dans une danse inédite sous son regard fatigué.

Longtemps je me suis couché de bonne heure, mais la distance entre les rêves et les phobies que j'ai pour le théâtre ne diminua point. Depuis je vis ma propre fin de monde. Le monde n'est qu'une somme de mot. Les mots sont tous poussière, le geste est tout - ce geste que nous remplaçons si souvent par la vanité du son.

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