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samedi 28 mai 2011

sur la colère



haïr ou pardonner - c'est un dilemme aussi vieux que les racines judéo-chrétienne de la civilisation européenne (si une telle existe), mais qui au fil des siècles n'a rien perdu de son actualité.

quelqu'un qui vous bascule dans le matin dans le métro. une première pensée - il faut pas se laisser faire. et on le pousse à notre tour. un piéton qui s’attarde en passant la rue enrage les chauffeurs. et le fil des petites colères ne fait qu'augmenter le long de la journée. or, les racines de la colère poussent dans notre quotidien. dans une péroraison débitée avec grande ingéniosité devant les autres, ce qui les fait nous détester en silence sous le masque dans vague sourire. un grande bagarre après un banale collision des voitures. une assistante universitaire en train de massacrer les étudiants pendant son séminaire, belle opportunité de les brûler avec une attitude d'impitoyable supériorité.

la colère du plus fort est ainsi la première à subir et gare à ceux qui se trouvent aux alentours

mais la colère est encore plus aiguë dans un monde qui vit son malheur quotidien - une campagne électorale est toujours plus rude dans un pays pauvre (à considérer l'exemple africain). et oui, en revenant au cas ivoirien, on a toujours du mal à comprendre comment dans ce qui se prétend un homme civilisé la rage et l'hypocrisie cohabitent. non que je m'attendais à des personnages d'un grand roman russe en train dénoncer leur nature ignoble et de chercher le pardon des autres. mais deux personnes qui prétendent aimer leur nation et qui ne font par ça que pousser un peuple au massacre, c'est au moins absurde, dégoûtant et incompréhensible.

la colère qui nous suit chaque fois qu'on se retrouve devant la solitude, devant la mort, qui s'accumule comme une bombe à retardement dont l'explosion va secouer des centaines de personnes - des enfants kamikazes en train de se tuer pour une cause qu'ils connaissent à peine, (fait qui assure une continuité de colère), des ados qui malgré le milieu aisé qu'ils habitent finissent par tuer des camarades d'école et par se suicider.

la colère des individus, des cours d'eau de montagne, se réunissant dans la colère sans limites des masses - des masses qui tuent qui s’entretient.

et un matin printanier on regarde tout ce champ de bataille perpétuelle, des consciences en ruines, des âmes en désuétude - c'est ça donc qu'on ose appeler "civilisation"?

en revenant au point de départ, il ne s'agit pas de vouloir trouver une résignation totale devant celui qui frappe, de lui tourner l'autre joue, de pouvoir prier pour lui. mais du simple fait si on va léguer à ce monde notre colère ou si par je ne sais quelle fait de grâce la possibilité de pardonner.
est-ce donc la voix de Camus ou celle de Mauriac qui raisonne en nous, inculper ou pardonner?

cette grande introduction est en fait la suite d'un autre film que j'ai vu il y a quelques jours. In a better world de Susanne Bier. Un film beaucoup applaudit pendant les festivals de cinémas, mais presque entièrement ignoré dans les salles de cinéma. un très long poème sur la colère, de très belles histoires qui s'entremêles, une géographie de la colère du Danemark à l'Afrique et une grande question qui en ressort - que faire de la colère, pardonner ou frapper?

à voir pour ceux qui cherchent plus qu'un écran déco à leur boite de pop-corn ;-)

PS: et surtout essayons de mettre un peu plus de distance entre la colère et notre façon d'agir




mardi 24 mai 2011

de cannes à milan, réflexions autour d'un arbre




Cannes entre le début et la fin du monde, entre Die Moldau de Smetana et l'ouverture de Tristan et Iseut de Wagner (considéré comme la pic de la musique par Marcel Proust). En un mot l'Art se met en avant dans le cinéma - le côté esthétique qui semble dépasser de loin le germe narratif du film.

Melancholia de Lars Von Trier est la somme de l'art européen, dont le leitmotiv est justement la mélancolie, ce sentiment de pesanteur et d'étouffement si bien décrit par Spengler dans son opus et qui est la somme de tout ce qui peut être désigné par le syntagme civilisation européenne. Pour jeter un coup d'oil supplémentaire sur ce film - des homo melancolicus sont mis en scène, comme Justine, dont l'image en robe de mariage dans les eaux de la rivière te font penser à Ophélie de Shakespeare, à la fin bouleversante de Virginia Woolf (dont l'image est ancré dans l'imaginaire occidental par un autre film - The Hours...). Un film qui s'annonce lourd, mais dont la critique désigne déjà comme l'ouvre la plus esthétique et la plus sympathique du cinéaste danois (qui a eu l'imprudence d'évoquer Hitler dans ses blagues, sans autre résultat que celui de choquer tous). A croire la critique, Kirsten Dunst y est au sommet de sa performance. Un film à voire à partir du mois d'août (surtout si vous avez survécu à l'Antichrist).

On dis souvent que l'attente vaut mieux que l'attendu. Ce n'est certainement pas une vérité absolue, mais ceci m'a semblé être vrai pour le dernier film palmé - The tree of life de Terrence Malick. C'est un film d'une rare beauté esthétique, d'une rare profondeur du message, d'une extraordinaire sérénité musicale - donc un film qui excelle dans le fragment, mais qui somme toute devient un peu trop. C'est d'ailleurs le seul film que j'ai vu avant de connaître le palmarès du jury cannois. Et bien, si vous y allez, il faut vous munir d'une patience hors commun, car le film dure plus de 2:40h et que souvent il devient monotone et vide. C'est d'ailleurs intéressant le fait que si l'on coupe le film un morceau ou si l'on fait une exposition de photos, ça serait certainement l’évènement artistique de la décade - le grand canyon filmé de ses profondeurs, la mer, le ciel, les vitraux d'une église en spirale, comme pour évoquer l'image du temps répétitif ou du désir humain d'atteindre le ciel, les sables du désert, les arbres d'une forêt séculaire... On y retrouve avec un grand plaisir un caméra dynamique et novateur, qui vole, court, renverse les images et donc persévère dans l'approfondissement de cette fraîcheur artistique.
Mais le grand perdant dans cette construction c'est le trame narratif - le film est morcelé, on est tantôt dans le présent, tantôt dans le passé (les années '5o), tantôt à l'époque du Big Bang ou à celle des dinosaures (qu'on a du mal à intégrer dans la surface lisse de cet sur esthétisme cinématographique). L'histoire d'une certaine façon commune - un architecte (Sean Penn) se rappelle son enfance, son père sévère (Brad Pitt), sa mère absente (car écrasée par la force du père omniprésent), l'éclatement de l'adolescence, la contamination de furie paternelle (l'enfant comme miroir de la violence paternelle), la mort du frère, l'absence du père entraînant une cruelle anarchie dans le comportement des enfants et puis cette image parallèle de la création du monde et de naissance de l'enfant... La réflexion se construit autour des deux voix de la vie - la voie de grâce (maternelle) et la voie de la nature (paternelle), qui m'a fait penser au Roi des aulnes de Michel Tournier, ou l'on retrouve une mise particulière sur la dichotomie du monde partagé en pédéphores (ceux ou plutôt celles qui portent l'enfant, la nature de la femme) et les phallophores (les portant de phallus, voir d'armes, c'est à dire les hommes). D'ailleurs chez Tournier la dichotomie s'anéantie dans le mythe de Saint Christophe (phallophore découvrant sa vocation de grâce, en portant l'enfant Jésus sur ses épaules).
Finalement, le film m'a fait penser au dôme gothique de Milan, trop grand, trop ornée et qui a été construit pendant trop de temps, un sorte de drôle de gothique.
La solution idéale pour le film de Malick serait la consommation modérée, pas plus de 20 minutes par semaine. Bon courage pour les curieux.

NB: Pas facile à croquer, ces films palmés