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vendredi 18 juin 2010

l'histoire d'une mise en abîme


sept heures au bout de l'aube. des gestes agités dans le miroir froid du café matinal. M. Py serrent une énième cigarette, les yeux noyés dans le même poème d'Eliot.
milles feuilles autours de lui. textes, remarques, didascalies ou encore ses décoration minimalistes qu'il a toujours préféré dessiner lui-même.
ça fait longtemps qu'il n'est plus brechtien dans son spectacles, mais là il s'acharne sur un projet de sa jeunesse, une mise en scène qui sera une double mise en abîme, action et pensée, poésie et drame dans un jeux nu des acteurs.

sur la scène vide des morceaux de papiers tombent. lumière vague. des voitures lointaines traversant la voix rauque d'un violon-mendiant. les acteurs entrent par le haut, suspendus entre danse et insomnie. deux hommes et deux femmes vêtus et maquillés en blanc ramassent le papier tomber d'un geste méditatif et lent. ils lisent à haute voix un poème de la fin au début, vers après vers. la voix qui déclame devient de plus en plus forte. les morceaux de papier tombent, mais sont remplacés par des cendres. les acteurs marchent sur la scène sans se toucher, comme s'ils étaient tout seuls. ils essayant d'embrasser les cendres qui tombe, lentement et au bout d'un moment s'écroulent sur la scène. le son est coupé. il n'y plus de cendres. pendant deux minutes on entend les battements d'un coeur.

scène vide plongé dans l'obscurité. son - battement des ailes. on entend plusieurs voix déclamer le monologue d'Hamlet:
tobeornottobetobeornottobetobeornottobetobeornottobetobeornottobetobeornot silence. plusiers révébèrent s'allument sur la scène. 50 personnes se dirigent à la fois dans toutes les directions. anachronisme. il sont tous habillé différemment - de la toge antique aux jeans hippies. ils ont tous un crâne dans leur main droite. ils dansent tous, mouvement lunatique et fascinant. la première gnosienne de Satie comme fond musical. silence. battement d'ailes. la scène plonge dans le noir.

on entend des pas. lumière. sur la scène des crânes partout. on entend les bruits d'une rue agitée. au fond de la scène un écran s'allume. on voit la rue. des passants, des voitures, des arbres. un clochard cloué au sol récite un fragment des Pensées de Pascal. des lumières de différentes couleurs sont projetées sur les crânes qui sont jaunes, vertes, roses. l'écran s'éteint. des cendres tombent.

musique. Schubert der jungfrau und die tot. quatre personnages - le poète, la mort, le diable et Marguerite. scène finale...

l'imagination de M. Py s'est bloquée dans ce passage final de Bulgakov sans trouver une fin logique à la mise en scène. le final du meurtre dans la cathédrale aurait été bien, combiné avec les images d'une cathédrale qui s'écroule sur l'écran du fond sur une musique sérénissime (un ave Maria? du Bach? du rock classique?). il voyait encore le final dans une maison blanche de Louisiane au bord d'un terrain marécageux ou toute une foule participe à un rituel mystique de sorcellerie. ou encore mettre en scène un scénario de Kubrick? il faudra encore négocier les droits de cet emprunt... la cigarette lui brûle légèrement. il se réveille et la jette dans son café. la prochaine nuit il cherchera une fin logique... il n'a jamais écrit ses scénarios pendant le jour, la nuit seule sait dompter ses visions de metteur en abîme.

mardi 15 juin 2010

M. Py et le reporter




J'ai eu beaucoup de peine à obtenir l'adresse de M. Py. Mais après une suite incroyable de coïncidences j'ai débarqué devant la porte couleur vert pomme de son appartement new-yorkais. Je me demande pourquoi ai-je retenu cette couleur bizarre, d'autant plus qu'il n'y avait rien d'exceptionnel: toutes les portes du même étage étaient vert pomme, comme les vieux murs salis autours. J'ai pressé le bouton de la sonnerie. Une voix rauque d'âne retentit dans l'espace de l'appartement. Peu après j'ai entendu les pas de M. Py.
Je viens de Paris. Il me considéra avec méfiance, ensuite il me laissa entrer. Le vieux metteur en scène vivait dans un appartement style 60's, minimaliste en principe. Des affiches collées aux murs ça et là. Des tableaux (des faux sans doute) diluant la monotonie des murs, des meubles plutôt absents, un tapis oriental dans le salon, un morceau d'un frontispice médiéval dans un coin obscur et une vraie invasions de livres qui trainaient partout.
Je voudrais vous interviewer Il me regarda encore avec très peu de confiance.
'Vous me faites chier, vous, journalistes. Je sais même pas pourquoi je vous accepte chez moi. Mais une fois entré je vous interdit de me poser de questions. Je vais vous dire ce que je trouve nécessaire. Ensuite vous aller me ficher la paix, car j'en ai trop besoin.'
Il commença par me dire son amour pour Flaubert, pour la poésie antylirique et son côté idéaliste dans ses lectures qui le firent découvrir Tchékov pendant ses études à Bruxelles. Il en lisait sans cesse. 'La mouette m'a beaucoup touché lors de ma première lecture, comme Les trois soeurs ou encore La cerisaie. Mais ce sont les récits du dramaturges qui m'ont déterminé de vouloir mettre en scène l'action, les petites phobies, les peurs ou encore les amourettes des personnages quasi naïfs et en partie romantiques'.
Mais rien ne m'impressionna dans son long monologue. Il me raconta des choses sur l'âme du théâtre et le sens de la mise en scène. La musique de Chopin c'est, d'après lui, la sonorisation parfaite du texte tchékovien. Son premier succès - la mise en scène de Ionitch, l'histoire d'une non-vie ordinaire - un médecin de campagne qui aime mais avec beaucoup de peine et qui après des années devient l'incarnation d'une divinité païenne, un gros monsieur de province sans amour ni espoir. Il n'y a rien de plus grave dans la vie qu'une existence vide. Pas de sens, pas de divinité, l'amour-une pauvre illusion en papier mâché, rien d'autre qu'une routine agaçante et creuse. Il me demanda si j'aime le théâtre. Mais j'ai eu du mal à répondre. C'est quoi aimer? Lire du Tchékov et, après une vague révélation, devenir un génie de la mise en scène? Vivre chaque geste des acteurs? Imposer un point de vue particulièrement neuf aux spectateurs? Harceler ce public ingrat qui reste à admirer les décorations? Crier l'exaspération ou le pathétique mal de siècle par la grande gueule de ses personnages?
Le vrai théâtre c'est le geste pur, c'est le nô japonais, son et mouvement, le mot y réside dans une absence particulièrement présente. La poésie c'est aussi du silence, c'est du non dit, c'est le devenir de l'acteur et non pas un simple produit fini. Notre théâtre, jeune-homme, est un éternel qui pro quo, un vacarme que nous projetons sans cesse dans ce que nous sommes, une mise ne abîme des métaphores avortées tous les jours dans les veines d'une ville neutre. Le temps n'est qu'une illusion dans ce processus. Le temps c'est de l'eau, y a que le regard qui compte.
A la fin M. Py m'offrit le manuscrit d'un de ces scénarios. La vie est un drôle de théâtre. Méfiez vous des acteurs qui jouent des rôles étrangers. Avec ces mots j'ai du redescendre dans cette terre qui adore les créations de son oeil innovateur valorisant sur la scène la mort dans tous ses états. Notre vie n'est qu'un jeu dont les dieux en ont marre.
La fumé montais vers le plafond dans une danse inédite sous son regard fatigué.

Longtemps je me suis couché de bonne heure, mais la distance entre les rêves et les phobies que j'ai pour le théâtre ne diminua point. Depuis je vis ma propre fin de monde. Le monde n'est qu'une somme de mot. Les mots sont tous poussière, le geste est tout - ce geste que nous remplaçons si souvent par la vanité du son.